Cultiver la Gratitude

Cultiver la Gratitude

Il faut bien reconnaitre que le terme « gratitude » ne fait pas partie du vocabulaire quotidien. De sonorité plutôt ingrate, on lui préfère la grâce, et surtout la gratuité, tout en dénonçant la gravité de la situation. Et si, de la même manière que l’on redécouvre les vertus des plantes médicinales, retrouve le goût des légumes anciens, remet en culture les céréales oubliées, parce que c’est sain, vraiment bon et simple, nous redéveloppions la culture de la gratitude ?

La gratitude consiste en la reconnaissance d’un don reçu, un bienfait, pour lequel  nous éprouvons de l’étonnement, de la joie, de l’émerveillement. Elle nous tourne vers le bienfaiteur, pour exprimer notre reconnaissance, un sourire, un merci plus habité qu’une simple formule de politesse, un cadeau.

La liste des bienfaits de la gratitude est longue. Pour les philosophes, c’est une grande vertu, voire la plus grande et la mère de toutes les autres. Elle a fait depuis le début du XXIème siècle l’objet de nombreuses études scientifiques. C’est même l’émotion emblématique de la psychologie positive, la science qui étudie les conditions et processus d’épanouissement et de fonctionnement optimal des individus, des groupes et des institutions.

En effet, la gratitude est l’émotion positive qui a le plus d’impact sur les 3 dimensions de la santé, au sens de OMS, c’est à dire un état complet de bien-être physique, mental et social (qui ne consiste pas seulement en l’absence de maladie ou d’infirmité).  Cette émotion complexe  s’accompagne d’autres émotions qu’elle stimule, la joie de recevoir un bienfait, l’amour pour celui qui l’a gratuitement offert, une satisfaction générale à l’égard de la vie. Elle protège également d’autres sentiments qui, aigus, sont désagréables (comme la comparaison, la jalousie...) et, en devenant chroniques, sont destructeurs.

Elle favorise la qualité du sommeil,  améliore le rythme cardiaque,  permet de mieux réguler le stress et introduit une plus grande résilience à l’égard des évènements difficiles. Plus une personne exprime de la gratitude moins elle est anxieuse ou frustrée. Elle protège des maladies somatiques d’origine psychique (hypertension, diabète, obésité, maladies auto-immunes et inflammations chroniques). Elle réduit le risque de dépression et prévient le passage à l’acte suicidaire.

Ses bienfaits sur la relation aux autres sont significatifs. Elle augmente le sentiment de lien social, d’utilité, les comportements de coopération, les gestes bienveillants, l’altruisme. Elle agit en boucle, c’est-à-dire en retour vers le donateur, ou en cascade, le bénéficiaire étant alors une autre personne. Pascal  Ide, dans son livre « Puissance de la gratitude – Vers la vraie joie », illustre cette cascade du don par une histoire vraie. Dans un restaurant de Philadelphie, deux amis découvrent au moment de payer l’addition, qu’un couple qui vient de sortir l’a déjà réglée. Touchés par cette générosité, ils décident de faire de même pour d’autres clients. Lynn Willard, l’une des serveuses, témoigne : « cela a continué pendant cinq heures », non seulement les personnes payaient pour d’autres, mais elles ne s’inquiétaient pas du prix et ajoutaient souvent un généreux pourboire.

Au-delà de l’émotion, par nature éphémère, la gratitude est une attitude de vie, appelée aussi orientation reconnaissante. C’est cette capacité à éprouver plus fréquemment de la gratitude, avec une intensité plus forte, envers un plus grand nombre de personnes  et pour un plus grand nombre de choses.

        

La première étape pour cultiver la gratitude, consiste à orienter l’attention vers ce qui dans le quotidien contribue à une vie plus belle. Le fonctionnement de notre cerveau est biaisé. Pour survivre, l’être humain doté d’une grande capacité d’adaptation, a appris à être attentif aux menaces, d’où une inclinaison à voir surtout les problèmes. C’est très utile lorsqu’il s’agit de traverser la route, mais surdimensionné par rapport à la réalité d’un quotidien globalement plutôt sûr. Le phénomène est amplifié par une adaptation beaucoup plus rapide à ce qui nous est agréable qu’à ce qui nous pèse. Il en résulte par exemple, que le baiser de mon mari ce matin est devenu un acquis, si je n’oriente pas mon attention vers celui-ci, je m’en rendrai à peine compte et passerai à côté d’un grand moment de bonheur.

Il s’agit de ralentir pour goûter, ressentir, savourer. En fonction de notre éducation et de notre personnalité, il n’est pas toujours facile de se connecter à nos émotions. La gratitude vient parfois avec d’autres émotions, comme la nostalgie s’il s’agit de quelqu’un qui n’est plus là. Le sentiment de dette peut venir aussi, il réduit alors considérablement la joie et nous incline à la fuite. Le risque face à cette complexité est de se couper de ses émotions et de se retrouver dans une incapacité à goûter ce qui nous est donné.

Vient ensuite le geste de remerciement. C’est le passage à l’acte, au don en retour du don.  Détaillant les ateliers de gratitude, Rebecca Shankland conseille de tenir un cahier de gratitude, s’entraîner à reconnaître et goûter la gratitude. Pour passer à l’acte, elle propose d’écrire une lettre de gratitude, à une personne qui a eu un impact positif sur ma vie.  

St Ignace dans l’exercice de « Contemplation pour recevoir l’amour de Dieu », considéré comme la récapitulation de tous les Exercices Spirituels, propose une méthode très simple et très féconde, entièrement fondée sur la gratitude. Il commence par « deux vérités » préliminaires précisant ce qu’est l’amour : il est un acte, un don de soi réciproque, « une communication mutuelle des biens ».

Pour St Ignace, la gratitude est un écho à la grâce. Il cherche à éveiller mon amour pour Dieu comme une réponse à l’amour de Dieu pour moi. Un jésuite aimait à dire : « Dieu ne veut pas d’abord qu’on l’aime, mais qu’on soit libre pour l’aimer ». La contemplation nous fait entrer en profondeur et en intensité dans la dynamique de la gratitude. Tout l’exercice vise une chose : que notre amour jaillisse du fond de l’âme. La gratitude est proportionnelle à notre perception de la gratuité du don.

Bénédicte Dantès
Coach et formatrice en développement des personnes et des organisations

Article publié dans le magazine FOI n°60 mars-avril 2019
Revue trimestrielle éditée par la Communauté du Chemin Neuf

Commentaires

Merci

Par le Facebook de Guillaume vienot. Je tombe sur ce magnifique texte. Depuis un an et demi je suis traumatisée crânienne avec quelques conséquences, je crois mesurer davantage ce qu est la gratitude. Et bon anniversaire Guillaume.je suis une ancienne du chemin neuf!

Ajouter un commentaire

Plain text

  • Aucune balise HTML autorisée.
  • Les adresses de pages web et de courriels sont transformées en liens automatiquement.
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.